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- Les lois de l’attraction, de Roger Avary (USA, 2002)
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Où ?
En vacances, en DVD zone 2
Quand ?
Fin juin
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Cinéaste presque aussi avare de sa présence que le spécialiste en la matière Terrence Malick (aux cinq longs-métrages en quatre décennies, avec un silence de vingt-cinq ans entre Les
moissons du ciel et La ligne rouge), Roger Avary nous laisse sans nouvelles depuis cette adaptation brillante des Lois de
l’attraction, qui venait déjà neuf ans après son premier film Killing Zoe. [Ah, si : des participations aux scénarios de La légende de Beowulf et du Silent Hill de Christophe Gans]. La meilleure chose à faire est alors de voir et revoir
Les lois de l’attraction ; surtout qu’il est excellent, et même l’un des tous meilleurs dans la grande famille des films sur l’adolescence. Le roman d’origine de Brett
Easton Ellis était une diatribe saignante, une attaque continue au mortier contre la décadence cynique prônée – sans même forcément s’en rendre compte – par la jeunesse américaine de l’époque,
les années 80. L’œuvre était donc très subjective ainsi que très circonstanciée ; une version campus de ce que American psycho du même auteur allait être pour les traders des
banques (les héros des deux livres partagent d’ailleurs le même nom de famille, Bateman). La logique d’adaptation suivie par Avary se détache au maximum de cette subjectivité et de ce contexte.
La version des Lois de l’attraction qui en découle a d’un bout à l’autre le regard froid d’un observateur détaché, et elle est atemporelle, ni d’hier ni d’aujourd’hui.
Ni reconstitution pointilleuse, ni modernisation franche puisque certains éléments semblent appartenir aux années 80 et d’autres porter la trace d’une modernité plus affirmée.
La batterie de commentaires audio (six !) présents sur le DVD donne du réalisateur une image de manipulateur ; en dehors de l’acteur principal James Van Der Beek (vu dans la série
Dawson, puis dans ce film kamikaze, et puis plus rien), tous les autres comédiens post-adolescents invités à parler du film exhibent en toute sincérité leur
incompréhension totale des motivations acides du projet auquel ils ont pris part. Avary a engagé les modèles de la jeunesse dorée mis à sa disposition par Hollywood, dans le seul but de dynamiter
de l’intérieur cette vision du monde dont ils sont les VRP passifs. Il y parvient avec encore plus de force que le plus agressif des slashers, en se positionnant sur le terrain
sociologique et en déroulant une idée simple mais capitale : dans le vrai monde, les jeux de séduction et de détestation qui sont le cœur de l’adolescence sont essentiellement une question de
regard. Chacun voit les autres et soi-même à sa propre manière, qui n’a que très peu en commun avec celle de n’importe quel(le) autre – y compris la personne qui vous fait face ou qui est la
cible de votre désir. La grande découverte et grande désillusion de cette phase de la vie est ainsi, comme le dit à un moment du film Lauren, l’un des trois personnages principaux, que
« nobody ever really knows anybody ».
Partant de là, Avary pose comme principe de mise en scène d’accorder une place au plus grand nombre possible de regards différents. Son objectivité n’est pas extérieure, elle est une accumulation
de points de vue intimes. Les différentes voix-off (au nombre de cinq, en comptant les lettres de l’amoureuse mystère de Sean) elles-mêmes sont sources de subjectivité, et non de prise de recul
comme cela est souvent le cas avec ce processus. Trois de ces points de vue personnels sortent du lot, et sont suivis plus assidûment : ceux de Lauren (Shannyn Sossamon), Sean (Van Der Beek) et
Paul (Ian Somerhalder, seul membre de la distribution à avoir encore une carrière : les séries Lost, Vampire diaries). La présentation de ces trois personnages, au cours d’une soirée étudiante vue en
flash-forward (le film racontant ensuite l’année scolaire écoulée avant cette soirée), donne le ton de ce qui va suivre. Sur le fond, on assiste à la trahison des aspirations relativement
candides des trois héros – flirt romantique, partie de jambes en l’air agréable – par la brutale réalité des choses ; ces inévitables points de vue divergents. Intraitable, Avary matérialise
explicitement le choc de ces désaccords par la survenue de fluides catalogués comme dégoûtants : vomi, crachat, sperme. Un choc encore plus violent nous atteint nous, spectateurs, causé par la
forme de ce montage d’ouverture. Il déroule puis rembobine – littéralement : les transitions d’un personnage à l’autre défilent à l’envers pour remonter le temps – la séquence de la fête, pour
montrer effectivement l’expérience personnelle de chacun des trois personnages dans un même lieu, et sur une même période de temps. L’ensemble dure un quart d’heure et fait partie de ces moments
de cinéma qui chamboulent tout ce que l’on croit pouvoir attendre d’un film.
La suite du film continue à faire exploser de tels moments où les perceptions des différents protagonistes entrent en conflit ouvert. Mais cela ne se fait jamais deux fois de la même manière, et
jamais en en faisant un gimmick, une signature. Les motifs du montage accéléré, du flashback, du split-screen (entre réalité et fantasme, ou entre deux réalités ; ce second cas de figure
donnant naissance à un instant de grâce absolue lorsque les deux écrans se rejoignent) s’enchaînent avec virtuosité et nourrissent la psychologie des protagonistes et le drame de leurs
chassés-croisés plus que l’ego du cinéaste. Ce kaléidoscope amer de l’adolescence est accompagné sur toute sa durée par une autre composante-clé de cet âge, la musique – qu’il s’agisse selon les
générations du rock, de la pop, de la new wave, de l’électro… Avary se révèle être un aussi bon compilateur que son ex-complice Tarantino (les deux hommes ont écrit Pulp
fiction ensemble). La bande-son des Lois de l’attraction est un festin de morceaux célèbres ou inconnus, anciens ou tout récents (là encore, l’amalgame
entre années 80 et 2000 fonctionne pleinement), venant de tous les horizons musicaux, souvent exploités pour plusieurs minutes plutôt que quelques secondes. La musique joue un rôle majeur dans le
film car elle joue un rôle majeur dans l’existence de ses personnages, et c’est d’ailleurs par eux qu’elle survient le plus fréquemment.
L’une des toutes premières répliques du film est « it always ends the same ». Par cette affirmation Avary annonce qu’il ne trichera pas, qu’il s’en tiendra à la vérité voulant
que les récits d’adolescence se finissent toujours pareil (sauf dans les
mythes) ; c’est-à-dire mal. Les lois de l’attraction est un engrenage de déceptions, cœurs brisés et illusions perdues. Et comme les garçons et les filles qui
subissent ces malheurs ne sont plus des enfants – la preuve : les adultes les ont abandonnés, livrés à eux-mêmes, et sont absents du film –, leurs douleurs sont réelles, et fatales pour tous et
toutes à plus ou moins court terme. Cependant, le scénario laisse à un de ses personnages l’opportunité de prendre la tangente, et d’échapper à cette fin désolante. Mais l’opération s’effectue de
manière magique, en aucun cas en suivant les règles ayant cours dans l’univers du récit. Il s’agit de Sean, qui se voit octroyer le droit de pressentir la conclusion pathétique de sa soirée telle
qu’elle se déroule dans l’introduction. Il choisit alors de rebrousser chemin et de quitter la soirée, quitter le campus, quitter le film – qui s’arrête dans l’instant, comme désavoué par ce
retournement. L’empathie d’Avary à l’égard d’une de ses créatures est sincèrement touchante ; tout en ne changeant rien au fait que dans la réalité, les adolescents ne se voient pas offrir de
telles échappatoires à leur monde et à l’expérience douloureuse qu’ils en font.